Si j’étais un couteau suisse, je pourrais tout : couper, découper, visser, décapsuler, percer, scier, pincer, curer…
Je serais l’outil universel, celui qu’on empoigne avec assurance, célébré pour sa polyvalence. Mais je suis moi, et je ne sers à rien.

Vous tentez de me convaincre du contraire, avec une bienveillance polie. Vous êtes bien aimable. Mais entre nous…
À quoi sert un ouvre-boîte à l’heure des ouvertures faciles, des systèmes ingénieux, des emballages aux opercules prédécoupés ?

Et pourtant… ça n’a pas toujours été ainsi. Il n’y a pas si  longtemps ma simple présence sur le comptoir témoignait de mon importance. Indispensable, respecté, je régnai sans partage. Dieu modeste, chaque repas célébrait ma puissance.

On m’empoignait avec confiance, on m’actionnait avec force. Sans moi, rien ne pouvait commencer. Et puis un jour… je ne sais pas… je ne sais pas ce qui s’est passé.

(…)