Chroniques de la vie quotidienne

Mon fils a quitté la maison il y a deux mois

31 octobre 2025

Deux mois déjà que le monde poursuit sa course pendant que j’essaie de retrouver mes repères dans une vie bouleversée.
Comme promis, je viens pour mon bilan mensuel.
Soixante jours, c’est le temps qu’il faut pour qu’un bouquet se fane, qu’un t-shirt blanc jaunisse, qu’une photographie pâlisse au soleil. Le temps délave tout.

Dans les musées, on tamise la lumière pour préserver les œuvres. Moi, au contraire, je suis sortie le nez au vent, vivre ma peine sans protection, sans filtre, sans armure. J’ai laissé le soleil taper sur mon cœur.
Ton départ, je l’ai vécu pleinement. En pleine face. Plein la gueule.

Te savoir heureux n’était pas suffisant pour m’apaiser. Des boutons dans le cou, des démangeaisons, un corps qui me réclamait d’aller chez le médecin, comme si la peau avait pris les commandes. Elle entendait bien se faire entendre.
Comme un malade qui éructe, j’avais quelque chose à expulser, quelque chose à vivre.
Tu le sais : dans la peine comme en tout, on fait comme on peut. Moi, je n’ai pas pu grand-chose contre la violence de mes sentiments.

Alors je me suis laissée ballotter comme un bouchon sur les flots, immobile dans le tumulte, le dos rond, en attendant que la vague passe.
La bonne nouvelle, c’est qu’il a raison, le bouchon : parfois, la sagesse consiste à ne rien faire. Juste à attendre.
 
Parce que quoi qu’il arrive, le temps joue en notre faveur. Sais-tu qu’Alfred de Musset l’appelait « le grand consolateur » ? Il l’est, assurément.
Comme une eau qui passe et repasse sur la roche, il glisse sur les sentiments pour les adoucir, il polit les émotions jusqu’à les rendre lisses.
Ce qui, dans la passion amoureuse, a quelque chose de cruel (voir le désir se ternir, la ferveur s’émousser) devient ici une forme de grâce.
Paradoxe du temps : le même effacement qui blesse les amants apaise les mères.
 
A bien y réfléchir, mon manque de toi ne s’efface pas… il change de forme.
Comme un glaçon qui fond, il reste le même, mais se fait plus doux. Il perd sa dureté pour devenir fluide, presque tendre.
J’irais même plus loin : ce manque commence à faire partie de moi. À force de lui tourner autour, de l’observer, de chercher à composer avec sa présence, je commence presque à l’aimer.
Tu t’étonnes, sans doute. Tu crois peut-être que ton départ ne me bouleverse plus. Non, ce n’est pas tout à fait cela. Laisse-moi t’expliquer.

Ce manque, je le fais mien, et je l’aime pour ce qu’il dit.
Comme un drap froissé garde en creux la mémoire du corps qu’il a abrité, ton absence est l’image en négatif de la place que tu occupais.
Elle n’est plus une brûlure, mais une empreinte.
Elle murmure encore ta présence.
Ton absence raconte, en filigrane, notre histoire partagée.

Voici ce que tu dois comprendre : quand tu es né, j’ai tout pris, tout embrassé, tout ce qui allait advenir.
J’ai dit oui, j’ai accepté l’ensemble, comme un tout. Ton arrivée disait déjà ton départ, et ton absence aujourd’hui prolonge ton arrivée. L’un et l’autre sont inséparables.

Voilà comment la nostalgie qui m’habite depuis deux mois a pris la forme d’une réminiscence apaisée. Les souvenirs qui m’habitent ne sont plus tristes, mais doux.
La tendresse de ces images, je le sens, prendra bientôt toute la place.
Elles ne sont pas un lot de consolation : elles sont aussi vraies que le bonheur que nous avons vécu ensemble.

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