Chroniques de la vie quotidienne

Mon fils quitte la maison demain

29 août 2025

Mon fils quitte la maison demain.

On va me dire que tout m’a préparée à cet arrachement. C’est vrai. Du cordon coupé aux médecins t’emmenant hors de moi pour te réanimer, de la fin de notre corps à corps dans la baignoire aux quelques heures par jour à la crèche, de ton premier trajet sans me donner la main à ton premier vélo sans petites roues, de ta première nuit sans lumière à ton premier repas sans aide, de ton entrée en maternelle à ta première rentrée scolaire sans te retourner, de tes premières vacances chez tes grands-parents à ta première nuit chez un copain, de ton premier voyage scolaire à ton premier week-end sportif, de la première fois où ton cœur a battu pour quelqu’un d’autre à la première bouche étrangère contre la tienne.

C’est vrai, notre vie ensemble a été une succession de séparations.
Toutes ces séparations étaient des répétitions de celle de demain, comme si chaque petit arrachement préparait la grande coupure, celle que je savais inévitable, la séparation la plus brutale, la plus forte, la plus féroce, celle de ton départ.

Tu reviendras bien sûr, souvent et longtemps je l’espère. Mais je sais bien que tes retours me montreront un nouveau visage, le visage de l’homme que tu seras devenu.

Le visage de celui qui vit autre chose, ailleurs, entouré d’inconnus, le visage de celui qui découvre le monde hors de moi, hors de nous, le visage de celui, enthousiaste, qui s’extasie de découvrir le monde et ses acteurs.

C’est un crève-cœur, le mot est parfait, avec la pointe d’un couteau on vient meurtrir ce petit morceau de moi qui palpite.

Ne venez pas me consoler, ne me dites pas ce que je dois ressentir, ne me donnez pas de conseil. Vos conseils n’ont aucun poids : la mère qui ne vit pas ce déchirement s’est fortifié le cœur, tant mieux pour elle, elle souffrira moins. Moi, mon cœur est artichaut. Et c’est feuille par feuille qu’il se déchire.

Je porte en moi toute ton histoire, je suis le garant de ton enfance, de tout ce que tu as oublié et de tout ce que tu oublieras encore. Je sais qui tu es, depuis toujours. Je garde intact ces moments heureux, je travaille ma mémoire, je fais tout pour les garder au plus juste, tout près de mon cœur.

Je pourrais laisser le temps faire son travail et laisser les souvenirs s’évaporer peu à peu, laisser la poussière se poser sur ma bibliothèque de souvenirs, mais je la nettoie, je la trie, je la range et la garde la plus intacte possible pour toi.

Si tu en as besoin un jour, que tu cherches l’origine de tes peurs, de tes failles, de tes forces ou juste pour le plaisir de te plonger dans ce bain de jouvence que sont les souvenirs d’enfance, je serai là pour te les dire, sans relâche, sans fatigue, avec patience, comme autrefois les histoires du soir, encore et encore, sans lassitude je te raconterai nos jours heureux.

Je parle, je parle, et c’est déjà demain.

Que mes larmes ne soient pour toi que le signe muet de mon amour. Ne t’y attarde pas, surtout.

Mon chagrin ne t’appartient pas, tu n’as pas à le porter. Il ne te concerne pas. Tu peux avancer, le cœur libre.

Si tu m’interroges sur mes yeux rougis, je te jurerai que c’est le pollen, le vent, la lumière trop forte.

Allez, file mon grand. Un monde immense t’attend.

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